Dans une conférence qui m’a menée (virtuellement du moins) en Afrique du Sud, j’ai partagé l’histoire qui a conduit à la perception des organisations comme des organismes vivants. J’ai ensuite eu le privilège de recevoir les retours de praticiens systémiques qui ont été impliqués dans cette histoire depuis le début. Je viens partager ces deux moments avec vous et voir comment ils peuvent éclairer votre leadership et vos dynamiques collectives.

Dans ce billet nous verrons ensemble :

1. Pourquoi la question d’une représentation vivante est-elle plus puissante qu’elle n’y parait ?

2. D’où viennent les organisations vivantes et les organisations apprenantes ?

3. Trois enseignements de penseurs systémiques

Il m’arrive de concevoir la proposition suivante dans des ateliers collaboratifs pour des dirigeants ou des équipes : « représentez votre organisation ou entité comme si elle était un organisme vivant (réel ou imaginaire). » Pourquoi ?

Pourquoi la question d’une représentation vivante est-elle plus puissante qu’il n’y parait ?

Pourquoi les leaders d’organisations complexes trouvent-ils utile de représenter leur organisation sous la forme d’un organisme vivant pour modeler leur stratégie ? Je vois deux raisons principales.

La première raison : la représentation est une façon de jouer, et jouer est essentiel pour rationaliser. Vous avez bien lu : grâce au jeu, les membres d’une organisation réfléchissent mieux. Des experts en neurosciences, psychiatrie, histoire, culture, gouvernance d’entreprise ou primatologie1 montrent les principaux avantages du jeu pour l’espèce humaine :

  1. L’empathie et la “contagion émotionnelle” : jouer nous aide à réaliser l’impact de nos actions et les sentiments des autres, cela active une large gamme d’émotions, y compris la confiance en soi et dans les autres.
  2. La créativité : jouer permet l’exploration, les tests et les erreurs, qui sont des prérequis pour l’apprentissage. Cela aide à comprendre les situations incertaines et rend la prise de risque plus acceptable.
  3. La santé : les humains sont faits pour jouer tout au long de leur vie et l’opposé du jeu n’est pas le travail, c’est la dépression. Jouer agit également comme une puissante protection contre l’anxiété.
  4. Les relations : jouer est un moyen de se connecter et de se relier, et aussi d’apprendre les normes et les règles sociales.

Avec un dessin, non seulement une équipe atteint des niveaux de questionnement et d’analyse plus profonds que si j’avais seulement demandé de décrire la situation avec des mots. Ils ont aussi (re)découvert la puissance d’une métaphore. Ne me dites pas que vous n’avez jamais fait référence à une équipe sportive ou à un sommet élevé pour raconter l’histoire de votre coopération ou de votre stratégie ?

La seconde raison : considérer une organisation comme un organisme vivant s’éloigne de vues plus traditionnelles qui font souvent références aux machines et à la mécanique. La Révolution Industrielle a certainement beaucoup à voir avec notre inclination à percevoir les entreprises sous l’angle de l’organigramme et des feuilles Excel !

Comment la notion d’organisations vivantes peut soutenir votre business et votre leadership ?

D’où vient la vision des organisations vivantes et des organisations apprenantes ?

Dans les années 1980, la personne chargée de la prospective chez Shell, Arie de Geus, s’est demandé pourquoi une poignée d’entreprises étaient beaucoup plus anciennes que ce que prévoyait la durée de vie attendue de cette époque (en passant : elle a encore diminué depuis). Avec son équipe, ils ont identifié 27 entreprises ayant plus de 75 ans aux États-Unis, au Japon et en Europe, et ont comparé leurs comportements. Voici ce qu’ils ont trouvé, et que de Geus a partagé dans le livre “The Living Company”. Les entreprises qui vivent longtemps sont :

  1. « sensibles à leur environnement »
  2. « cohésives », avec un « fort sentiment d’identité »
  3. « décentralisées et prêtes à se diversifier, à tolérer les activités à la marge »
  4. « financièrement conservatrices ».

L’essentiel ici est que ces organisations sont connectées à leur environnement business et ajustent ainsi leur comportement à la réalité de leur contexte. Elles privilégient l’auto-préservation en période de turbulences et le développement personnel en période de changements plus lents. (Je me suis demandé ce que des changements plus lents pourraient signifier en 2024 par rapport aux années 1970).

La connexion entre le business et la vie est la suivante : la survie et l’amélioration à long terme. Et nous savons désormais que la pensée de Darwin a été simplifiée à l’excès au fil des années, et que la coopération, plutôt que la domination, est la raison pour laquelle la vie existe et se développe – la biologiste Lynn Margulis l’a démontré tout au long de sa carrière et a conclu : « La vie n’a pas conquis le globe par le combat, mais par la mise en réseau ».

Il ne sera pas surprenant d’observer que la longévité dépend de l’apprentissage : s’ajuster entre survie et croissance est un processus apprenant pour l’ensemble de l’organisation. C’est là qu’une autre pierre angulaire a été façonnée par une grande organisation : Visa a été créée par Dee Hock en 1970 dans l’intention de reconnaître que les organisations affrontent et créent à la fois le chaos et l’ordre. Il a introduit le terme de « chaordisme » et a influencé la création de ce qui est encore connu aujourd’hui sous le nom de Society for Organizational Learning (SOL), où les entreprises et le monde académique combinent recherche (théorie) et expérience (pratique) pour développer les individus, les équipes et les organisations.

Le fondateur de SOL, Peter Senge, a partagé ce qui fait une organisation apprenante dans son livre pionnier La Cinquième Discipline.Vous reconnaîtrez le rôle des dynamiques collectives et de l’autonomisation dans sa description. Les organisations apprenantes sont « des lieux où :

  1. « les personnes développent continuellement leur capacité à créer les résultats qu’elles désirent vraiment,
  2. « des modèles de pensée nouveaux et expansifs sont encouragés (nourris en anglais),
  3. « les aspirations collectives sont libérées,
  4. « les personnes apprennent continuellement à apprendre ensemble ».

Si besoin répétons-le : l’apprentissage organisationnel vise à améliorer la performance, comme le montre l’accent mis sur les résultats. Il me semble que les résultats véritablement désirables font référence à ce qu’on appelle aujourd’hui souvent la raison d’être : ce quelque chose qui dépasse chacun de nous et nous pousse à accomplir de grandes choses ensemble. Et une aspiration collective libre est une invitation à l’autonomisation.

Je dirais que dans le monde d’aujourd’hui, où le changement est considéré comme rapide, le défi pour les organisations qui se perçoivent comme des organismes vivants et veulent continuer à exister est de savoir quand il est temps de quitter le mode survie et de reprendre le processus d’apprentissage.

Trois enseignements de penseurs systémiques

À la fin de ma conférence pour mes collègues de SOL, trois thèmes sont apparus comme essentiels dans les 50 ans de l’histoire des entreprises vivantes et apprenantes.

Premièrement, « les rôles et l’importance de la communication » : une organisation apprenante regroupe des acteurs, des penseurs et des aidants. C’est la combinaison de leurs profils et de leurs compétences qui fait prospérer l’organisation. Chaque membre de l’organisation est « comme une cellule » dans un organisme vivant : il est sensible à l’environnement à son niveau. Et la communication, en particulier dans des contextes multiculturels, est essentielle. « La curiosité est essentielle pour travailler ensemble et prendre des décisions ». La vie et l’apprentissage organisationnels consistent à « trouver des solutions ensemble ».

Deuxièmement, le choix d’un PDG a le potentiel de stimuler ou de freiner les capacités d’apprentissage de toute une organisation. Il s’agit de « décider de changer la façon de décider » – ce qui est également le titre d’un livre fondamental sur les organisations organisés en cercles.2 Le PDG peut aussi être la personne qui stoppe tout mouvement vers une plus grande autonomisation et revient à des modes de décision plus traditionnels : cela est arrivé à Visa après son introduction en bourse – ce qui n’a pas empêché Dee Hock de continuer à aider les organisations à utiliser la gouvernance qui a conduit au succès inattendu de son entreprise.

Troisièmement, nous avons abordé la notion de « désapprentissage » qui découle de l’apprentissage organisationnel. Les « habitudes et croyances » doivent être partagées et remises en question régulièrement, et à chaque tournant majeur de la vie d’une organisation. C’est un excellent moment et un outil pour rassembler les équipes autour d’un objectif commun. Cela demande du temps et des efforts, mais moins de temps et d’énergie que la dislocation d’une équipe, les malentendus ou les conflits. Les visions du monde et « tout ce qui a façonné notre perception du monde » ont un impact. En partant de l’imagination et de la représentation, nous avons plongé dans les origines et les idées des organisations vivantes et apprenantes. Avec ces cadres en action, les entreprises et les leaders peuvent mieux s’orienter dans les complexités du leadership et favoriser des équipes plus dynamiques et performantes.

Co-Dynamics est l’espace où je guide les organisations vers des façons de travailler et de décider plus équilibrées. Vous trouverez d’autres histoires vécues dans les chapitres 10 et 11 de mon livre « Shared Decision-Making in the Corporate Arena ».


  1. Jeff Mogil, Stuart Brown, Jane McGonigal, Isabel Behncke, Friedrich Schiller, Marc Malmdorf-Andersen, Kevin Werbach. ↩︎
  2. Who Decides Who Decides de Ted Rau : bientôt disponible en français sous le titre Qui Décide Qui Décide. ↩︎

Photo Daniel Watson